
Elsa BENHAMOU – Avocate
L’exception d’inexécution est un principe général du droit des contrats défini à l’article 1219 du Code civil comme la possibilité dont dispose une partie contractante de suspendre l’exécution de son obligation tant que son cocontractant ne respecte pas les siennes, à condition que le manquement soit d’une gravité avérée.
Ce mécanisme offre au locataire la possibilité, sous certaines conditions, de suspendre le paiement de ses loyers en cas de manquement du bailleur à ses obligations.
Toutefois, malgré l’apparente simplicité du texte, l’application de cette exception est encadrée de manière stricte par la jurisprudence en matière de bail commercial.
En effet, si le Code civil se contente d’exiger une inexécution « suffisamment grave », les juridictions sont restées constantes sur le fait que cette inexécution devait aller jusqu’à priver totalement le locataire de la possibilité d’exploiter les locaux loués.
- Des conditions strictement encadrées par la jurisprudence
Il peut être tentant pour un locataire en difficulté d’invoquer l’exception d’inexécution afin de justifier la suspension du paiement des loyers, notamment en raison de manquements du bailleur liés à un manque d’entretien ou de travaux dans les locaux. Cependant, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse dans l’application de ce mécanisme.
En effet, pour que le locataire puisse légitimement suspendre son obligation de paiement, il doit démontrer que l’inexécution du bailleur l’a placé dans une impossibilité totale d’exploiter les locaux conformément à leur destination contractuelle.
Cette impossibilité ne doit pas être relative ou partielle : il ne suffit pas que le manquement porte sur une obligation essentielle ou qu’il cause une gêne significative.
Par ailleurs, la charge de la preuve repose sur le locataire, qui doit établir non seulement l’existence d’une inexécution grave, mais également qu’elle est directement imputable au bailleur. Autrement dit, le preneur doit prouver que les difficultés rencontrées sont exclusivement dues au défaut d’exécution du bailleur et non à d’autres facteurs.
Enfin, la jurisprudence a également précisé que certains désagréments, tels que la vétusté des locaux ou des dysfonctionnements partiels, ne suffisent pas à justifier une suspension du paiement des loyers. Il en est de même lorsqu’un défaut existe mais que l’exploitation reste possible, même de manière réduite.
- Une application constante par la jurisprudence
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 juillet 2016 (Cass. Civ 3, 7 juillet 2016, n° 15-16.097) avait déjà retenu que le locataire ne peut suspendre le paiement de ses loyers qu’à la condition de prouver que les locaux sont devenus totalement inutilisables pour l’activité prévue.
Autrement dit, tant que les lieux restent exploitables, même partiellement, l’obligation de paiement demeure.
Cette position a été réaffirmée récemment par un arrêt du 10 octobre 2024 (Cass. Civ. 3, 10 octobre 2024, n° 22-24.395). Dans cette affaire, un bailleur avait engagé une action contre sa locataire afin d’obtenir le règlement d’un arriéré de loyers. La locataire contestait cette demande, avançant que l’état de dégradation des locaux justifiait une exonération totale de son obligation de paiement.
La Cour de cassation a rejeté cet argument considérant que, malgré la vétusté de la façade et de la couverture du bâtiment, la locataire avait pu continuer d’exploiter les locaux commerciaux. Par conséquent, l’impossibilité absolue d’utiliser les lieux n’était pas établie.
En outre, la demande de la locataire ne portait pas sur une simple réduction de loyer mais sur une exonération complète, ce qui ne pouvait être admis en l’absence d’une entrave totale à la jouissance et à l’exploitation des locaux.
Ainsi, tant que l’activité peut être poursuivie, même de manière réduite ou dégradée, le locataire commercial demeure toujours tenu au paiement des loyers.