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Droit du travailDroit social

Travail au domicile, avec ou sans contrainte : une indemnisation bientôt incontournable pour l’employeur ?

Par 2 décembre 2025Pas de commentaires
Portrait noir et blanc de Thomas MOUSSEAU

Me Thomas MOUSSEAU-SWIERCZ, Avocat

Bien que la notion de télétravail soit présente au sein du Code du travail depuis la loi n°2012-387 du 22 mars 2012, c’est indéniablement au cours des dernières années, et en particulier depuis la crise sanitaire, que sa mise en pratique s’est largement popularisée au sein de nos entreprises.

Pour rappel, le télétravail est défini à l’article L.1222-9 du Code du travail comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Aux termes de cette définition, c’est donc le fait que le travail aurait également pu être exécuté au sein des locaux de l’entreprise, et son caractère volontaire pour le salarié qui distingue le télétravailleur du travailleur à domicile.

La flexibilité que le télétravail peut permettre en fait un mode d’organisation du travail bien souvent perçu comme un avantage et désormais plébiscité par les salariés.

Pourtant, dans un arrêt du 19 mars 2025 (n°22-17.315), il semblerait que la Chambre sociale de la Cour de cassation y voit nécessairement une contrainte pour le salarié. L’arrêt semble acter que le fait d’occuper le domicile à des fins professionnelles constituerait en toute hypothèse une immixtion dans la vie privée du salarié, pouvant lui donner droit à une indemnité de sujétion à la charge de l’employeur.

I. L’extension du champ de l’indemnité de sujétion au télétravail du fait de l’immixtion dans la vie privée du salarié

    À titre liminaire, rappelons qu’au sens littéral du terme, la sujétion désigne la situation d’une personne astreinte à une obligation sous la subordination d’une autre. Sur le plan juridique, l’indemnité de sujétion à laquelle la Cour de cassation se réfère dans l’arrêt susvisé n’est pas nouvelle.

    En effet, la Cour de cassation considérait déjà dans sa jurisprudence qu’une indemnité de sujétion était due au salarié travaillant à son domicile à la double condition que : l’organisation du travail à domicile était une directive de l’employeur (1), qui de surcroît ne mettait pas à la disposition du salarié un local professionnel (2) (Cass. soc., 14 sept. 2016, n° 14-21.893).

    Cette jurisprudence concernait jusqu’alors des travailleurs itinérants contraints d’effectuer une partie de leurs tâches à domicile, faute de local mis à disposition par l’employeur. C’était le cas du salarié dans l’arrêt commenté, embauché en qualité de chef des ventes d’une brasserie.

    En pareil cas, l’indemnisation se comprend aisément puisque le travail au domicile ne s’analyse pas en une faculté pour le salarié, mais en une obligation imposée de la seule initiative de l’employeur. Donc en une sujétion.

    Or, l’arrêt du 19 mars 2025 fait évoluer cette jurisprudence puisque la Cour de cassation procède à une extension pour inclure la notion de télétravail en considérant à présent que :

    « L’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans sa vie privée, de sorte qu’il peut prétendre à une indemnité à ce titre dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition ou qu’il a été convenu que le travail s’effectue sous la forme du télétravail ».

    En d’autres termes, ni la mise à disposition d’un local professionnel par l’entreprise, ni le caractère volontaire du travail à domicile, ne seraient de nature à exclure l’indemnité de sujétion du fait de l’occupation du domicile.

    Puisque pour la Cour de cassation, ladite occupation constituerait dans les deux cas une immixtion dans la vie privée du salarié qui justifie une indemnisation.

    L’arrêt vient en outre préciser le délai dans lequel cette indemnité peut être réclamée.

    II. Le régime applicable à l’indemnité de sujétion

      Le second apport de cet arrêt concerne le délai dans lequel le salarié qui entend solliciter une indemnité de sujétion en matière de télétravail est tenu d’agir.

      La Cour de cassation considère que l’indemnité de sujétion ne vient pas réparer un préjudice subi par le salarié mais résulte d’une action concernant les modalités d’exécution du contrat de travail. Elle est donc soumise à la prescription de deux ans prévus par l’article L. 1471-1 du Code du travail.

      Si le délai de prescription applicable reste court, cette généralisation de l’indemnité de sujétion en matière de télétravail pourrait traduire une augmentation non négligeable du coût qu’il représente pour l’employeur. Pour l’heure la question reste entière, puisque le salarié en cause dans l’arrêt du 19 mars 2025 demeurait dans une situation de travail au domicile contraint. Si la position de la Cour de cassation se confirme, il reste par ailleurs à déterminer si l’indemnité sera due quelle que soit la forme du télétravail (total ou partiel), ce qui n’est pas précisé par l’arrêt Dans l’affirmative, la flexibilité que le télétravail peut également représenter pour les entreprises risque de ne plus être suffisante pour qu’elles continuent à le percevoir comme un avantage plutôt qu’une contrainte. En tout état de cause, elles devront ajuster et sécuriser leur politique de télétravail en conséquence.