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COVID-19 ET RAPPORTS BAILLEUR/LOCATAIRE : LA BATAILLE NE FAIT QUE COMMENCER

Par 19 novembre 2020Pas de commentaires
Photo d'une montre

La crise sanitaire du Covid-19 a engendré un accroissement du nombre de loyers commerciaux impayés, d’autant que le « reconfinement » oblige à nouveau les commerçants à fermer leurs portes au public.
A mesure que les actions des bailleurs en paiement des loyers se multiplient, les juges construisent une jurisprudence applicable à l’exécution du contrat de bail commercial en période de crise sanitaire.

La bonne foi oblige les parties à réaliser des diligences amiables avant de saisir le juge.

Dans deux ordonnances du 26 octobre 2020 [1] , le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris est venu rappeler que les contrats doivent être exécutés de bonne foi selon l’article 1104 du Code civil. Aussi, les parties sont tenues, face à des circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives.
En l’espèce, très financièrement touchés par le confinement, des locataires d’une salle de sport et d’une parapharmacie s’étaient rapprochés de leur bailleur commercial pour tenter de trouver une solution amiable, lesquels dédaignaient tout arrangement.
Les deux propriétaires bailleurs en cause, ayant refusé de négocier de bonne foi, manquaient donc à leurs obligations contractuelles. Opposant l’exception d’inexécution [2], les locataires n’ont pas été condamnés en paiement des loyers.
Le juge de l’urgence vient ainsi conforter le raisonnement déjà adopté à la sortie du premier confinement : dans une ordonnance du 10 juillet [3], le juge des référés parisien avait fait droit à la demande en paiement d’un propriétaire bailleur dont le comportement démontrait une exécution de ses obligations en toute bonne foi.
En l’espèce, le bailleur n’avait pas immédiatement réclamé le paiement du loyer mais avait proposé un certain nombre d’aménagements et de report, tandis que l’on pouvait reprocher au locataire de n’avoir tenté aucun rapprochement amiable.
La portée de ces décisions est à tempérer. En effet, pour écarter la condamnation en paiement, le juge des référés a retenu que l’exception d’inexécution soulevée par les locataires était de nature à créer une contestation sérieuse [4]. Cette contestation suffit pour écarter la condamnation en référé mais ne garantit pas que la décision au fond, qui pourrait éventuellement être prise ensuite, aille dans le même sens.
Ces décisions invitent toutefois les bailleurs à adapter les modalités d’exécution du contrat au regard du contexte sanitaire et d’adopter un comportement empli de bonne foi vis-à-vis de leurs locataires avant de saisir le juge de l’urgence pour obtenir le paiement des loyers.

Le Covid-19 ne suspend pas l’exigibilité des loyers.

Dans un arrêt du 5 novembre [5], la Cour d’appel de Grenoble rappelle que la crise sanitaire du Covid-19 ne dispense pas le locataire commercial de payer son loyer. Elle écarte ainsi l’ensemble des moyens opposés par le locataire et fait droit à la demande en paiement du bailleur.
Les juges d’appel considèrent tout d’abord que le locataire exploitant une résidence de tourisme ne peut pas soulever l’argument de l’exception d’inexécution concernant l’obligation de délivrance pour se dispenser du paiement du loyer. Certes le bailleur est tenu à une obligation de délivrance et de jouissance paisible du local, mais ici, l’impossibilité pour le bailleur de mettre à disposition le bien loué ne résulte pas de son propre fait mais des mesures administratives de confinement.
La force majeure n’est pas non plus un argument juridique recevable pour se libérer du paiement en période de crise sanitaire. Sur ce point, la décision reste assez classique : la force majeure avait déjà été exclue pour le virus de la grippe H1-N1, le SRAS ou encore Ebola. En outre, le jeu de la force majeure est en principe exclu en présence d’une obligation de payer une somme d’argent.
Enfin, le fait du prince – applicable lorsqu’un contrat ne peut pas être exécuté comme prévu en raison d’une décision administrative – ne peut pas non plus justifier l’impayé de loyer du locataire car cette qualification est exclue des rapports privatifs, et ne joue que lorsque l’autorité administrative est également partie au contrat.

En conclusion, l’état d’urgence sanitaire ne dispense par les locataires de locaux commerciaux de payer leur loyer, et les propriétaires bailleurs sont en droit d’en réclamer le paiement en référé, à condition toutefois de prouver qu’ils ont exécuté leurs obligations de bonne foi en adaptant les modalités du contrat à la crise sanitaire.
Il faudra attendre encore quelques années avant d’obtenir l’interprétation de la Cour de cassation quant à l’exécution du contrat de bail commercial en période de Covid-19.
En attendant, le Gouvernement semble essayer de contrer ces difficultés par des mesures de soutien financier. Bruno Le Maire a annoncé, lors de sa conférence de presse du 13 novembre, que tout bailleur commercial qui renoncera au loyer du mois de novembre pourra bénéficier d’un crédit d’impôt de 50% du montant du loyer en 2021. Ce dispositif d’incitation fiscale devrait être prévu par la loi de finances pour 2021.


[1] TJ Paris du 26 octobre 2020 n°20/53713 et n°22/55901

[2] Article 1219 du Code civil : Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

[3] TJ Paris du 10 juillet 2020 n°20/04516

[4] Article 835 du Code de procédure civile

[5] CA Grenoble, Ch. Com., du 5 novembre 2020 n°16/04533