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Droit social

La drague est-elle interdite en entreprise ?

Par 29 mars 2021Pas de commentaires
Portrait noir et blanc de Sandrine PONCET, avocate au barreau de Grenoble

Sandrine PONCET Avocate associée

A l’heure des « #metoo » et « #balancetonporc », la question des comportements amoureux ou sexuels des salariés peut s’avérer être une réelle problématique d’entreprise.

La drague doit-elle être admise en entreprise ou l’employeur doit il s’inquiéter au moindre rapprochement entre membres de son personnel ?

Doit-on considérer que ces questions relèvent de la seule vie privée du salarié, avec laquelle l’employeur ne peut interférer, ou y a-t-il des situations où ce principe de protection de la vie privée doit s’effacer pour laisser place à une intervention du chef d’entreprise, avec possibilité pour ce dernier de faire usage de son pouvoir disciplinaire ?

Ces questions revêtent une certaine importance lorsque l’on prend en considération que plus de 40 % des couples se sont rencontrés sur leur lieu de travail et que 52% des femmes, ainsi que 27% des hommes, déclarent avoir subi un fait de harcèlement sexuel au travail.

Une rapide étude des jurisprudences rendues permet de dégager de grands principes qui doivent guider l’employeur.

Le premier principe est que l’employeur ne peut interdire toute drague ou rapprochement au sein de son effectif. Une immixtion de sa part dans ce domaine constituerait une violation de l’article 9 du code civil qui prévoit un droit absolu au respect de la vie privée.

Ainsi, l’employeur ne peut insérer des clauses de célibat dans ses contrat de travail, ni même prohiber dans son règlement intérieur des relations amoureuses entre salariés, fussent-elles illégitimes, ou encore refuser une embauche en raison de l’existence avérée de liens personnels.

La relation amoureuse ne peut donc pas être prohibée au sein de l’entreprise.

Il en va différemment des ébats amoureux sur le lieu de travail, situation dans laquelle la faute grave peut être invoquée par l’employeur. La jurisprudence effectue en effet une nette distinction entre la relation amoureuse autorisée et la relation charnelle prohibée sur le lieu de travail.

En outre, si le salarié a droit au respect de sa vie privée et amoureuse sur son lieu de travail, il se doit de garder une certaine discrétion sur les liens qu’il peut entretenir avec d’autres salariés, sous peine de se voir reprocher des perturbations au sein des services et d’être sanctionné.

Se pose, avant même ces questions de relations entre salariés, la question préalable de la drague et de la séduction sur le lieu de travail. Dans ces domaines, les choses peuvent rapidement se compliquer.

Généralement, les tribunaux considèrent que la drague, même un peu lourde, ne constitue pas obligatoirement un harcèlement sexuel.  Ça, 21 décembre 2017, n° 16/01680

Toutefois, ce comportement peut constituer un comportement inapproprié justifiant un licenciement.

Il en va ainsi du salarié qui multiplie les invitations et compliments envers l’ensemble de ses collègues féminines (Soc., 26 octobre 2017, n° 16-17912).

Cela peut même, sous certaines conditions, relever du harcèlement moral.

Le harcèlement sexuel recouvre lui une toute autre réalité. Il est défini légalement comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle » ou comme « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ».

Si des propositions crues ou directes rentrent sans contexte dans le champ d’application de ces notions, la frontière est souvent plus difficilement appréhendable entre la drague lourde tolérée et le harcèlement sexuel prohibé, et ce d’autant plus que la notion de libre consentement peut se trouver largement viciée, au sein de l’entreprise, du fait du lien hiérarchique qui peut exister entre les parties concernées.

Tout est question d’appréciation et d’équilibre.

Si une invitation ou un compliment isolé relève de la liberté du salarié, la donne change lorsque le comportement devient répété ou particulièrement intime.

Ainsi en a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 28 janvier 2014, dans lequel un chef comptable expérimenté, que l’on pourrait qualifier de mature, s’était épris d’une jeune recrue. Pour la conquérir, il avait multiplié les lettres enflammées, les bouquets et les invitations au restaurant mais sans jamais faire la moindre proposition directe à la salariée. La haute juridiction a néanmoins retenu le harcèlement sexuel, compte tenu de la multiplicité des actes intervenus, mais également du contexte entourant les faits. Dans cet arrêt, la Cour a notamment souligné dans sa motivation que le salarié, du fait de la différence d’âge, de son ancienneté et de l’existence d’un lien hiérarchique, aurait dû agir avec plus de retenue.

On peut donc se demander si, dans un autre contexte, la décision aurait été différente.

Par contre, le délit de harcèlement sexuel ne peut être retenu dès lors que les agissements ont été considérés comme bien accueillis, voire même réciproques (Soc. 25 septembre 2012, n° 11-17.542).

Si l’analyse et l’appréciation d’une telle situation par l’employeur n’est pas aisée, il ne peut toutefois pas rester sans agir.

La dénonciation de ce type de comportements, même si elle s’avère au final infondée, ne peut jamais constituer un motif de sanction de la victime, ni même de l’auteur des dénonciations.

Si l’employeur est informé de ces faits par le salarié victime ou par un tiers, il se doit d’agir en effectuant une enquête interne pour pouvoir apprécier la réalité des faits et surtout en protégeant la victime par la prise de mesures préventives, telles que le changement de bureau et/ou de responsable hiérarchique.

Si les faits sont établis, l’employeur doit alors faire usage de son pouvoir disciplinaire, avec des sanctions qui devront être adaptées selon la nature des faits.

Si aucune plainte n’est remontée à l’employeur mais que règne dans les services une ambiance non conforme aux exigences légales, l’employeur ne peut rester inactif et il doit prendre l’ensemble des mesures nécessaires pour mettre un terme à la situation. Sans cela, il manquerait à son obligation légale de sécurité.

 

Enfin, un petit rappel bien utile : une « main aux fesses » ne relève pas du harcèlement sexuel mais constitue bien une agression sexuelle caractérisée qui ne laisse place à aucune possibilité d’appréciation, quel qu’en soit le contexte !